jueves, 22 de octubre de 2009

Quand les communiantes



"Quand les communiantes, après la marche processionnelle, se furent rangées dans le chœur, devant l'autel, quand toutes ces blancheurs se furent agenouillées sous les voiles, Sophie et Emmoline, au milieu de leurs compagnes, se trouvèrent encore voisines ; et, au moment où un prêtre d'un côté, un prêtre de l'autre côté, allant de fillette en fillette, donnaient Dieu à ces enfants, le jour, en un hasard de rayons groupés, isola les deux amies d'une clarté séparatrice qui était comme un autre voile fait de lumière ; on eût dit, en cet endroit, devant l'autel , deux petites mariées, sans mariés.

Les prêtres, celui qui venait de droite, celui qui venait de gauche, arrivèrent devant elles ; délicieusement elles attendaient, bouche mi-ouverte, l'hostie ; presque en même temps toutes deux la reçurent ; ce fut dans le cœur de Sophie une chaleur dévoratrice ! et, dans le cœur d'Emmeline, une tiède neige fondante ; car Dieu est différent selon les âmes. Or voici que, tout à coup, Sophie se dressa, elle semblait souffrir étrangement, elle porta ses mains à ses oreilles comme si elle avait entendu quelque intolérable bruit ! Les prêtres qui donnaient la communion s'approchèrent d'elle, inquiets ... Mais déjà un sourire d'une sérénité passionnée lui épanouissait toute la face ; et, violemment, irrésistiblement, elle prit Emmeline dans ses bras, et, à cette place oîi les fiancés reçoivent la bénédiction nuptiale, elle étreignit son amie et la baisa sur les lèvres.

Cela aurait causé quelque scandale si les fidèles n'étaient accoutumés aux désordres nerveux que produit sur quelques enfants l'incarnation divine; on emporta les deux petites jointes encore, à demi pâmées ; le lendemain, on s'accordait, parmi les dévotes de la ville, à louanger l'excès de
ferveur qu'avaient montré en communiant la fille de Mme Luberti et la fille de Mme d'Hermelinge".

C. Mendès

martes, 20 de octubre de 2009

Un dernier baiser


"Le long des quais, Marguerite et Raymond marchent en silence vers Notre-Dame, et pénètrent comme en une forêt dans l'ombre qui se fait à chaque pas un peu plus dense et les enveloppe. Sur le point de se quitter, ils sont déjà réellement loin l'un de l'autre.

Raymond, méthodique, classe en lui-même les impressions de la journée. Marguerite songe au mensonge qu'il lui faudra inventer pour expliquer l'heure tardive de son retour.

« Ce serait, pensait Raymond, une belle occasion de généraliser cette aventure : nous nous sommes rencontrés par hasard, donc nous étions destinés l'un à l'autre. Mais il n'y a pas de destinée et Marguerite,somme toute, n'est qu'une destinée d'occasion, éphémère sans doute. »

Ils s'étaient arrêtés. Déjà, Marguerite tendait ses lèvres à Rajmond,pour l'adieu; mais il la retint, et après quelque hésitation :

— Marguerite, dit-il, je voudrais être sûr de ne jamais vous perdre. J'ai peur, en vous abandonnant ainsi dans la nuit, de ne jamais plus vous retrouver. A la minute où je dois vous quitter, j'éprouve, chaque fois, une angoisse plus douloureuse.

Il exagérait ses sentiments, comme pour éprouver ceux de son amie. Il ajouta :

— Si j'allais devenir tout à fait amoureux?

— A quoi bon. je ne vous répondrais pas. Et puis, qu'est-ce que cela ajouterait à notre bonheur ? On m'aime déjà et cela ne m'amuse pas.

Le flot des passants les heurtait; ils semblaient un îlot jeté au milieu du courant et qui le faisait dévier. Marguerite continua :

— Pourquoi. d'ailleurs, se faire souffrir inutilement? Ce qui fait le charme de notre liaison, n'est-ce pas cette nécessité de nous quitter dans quelques mois? Vous oubliez que je ne suis pas libre. Je vais me marier, et jamais je n'accepterais le mensonge d'une double vie. C'est le meilleur de moi que je vous donne.

Raymond sentit ce que cette sagesse avait d'humiliant pour son amour-propre. Il voulait bien, à l'échéance convenue, quitter Marguerite, mais il ne voulait la laisser partir que définitivement blessée.

— Oui,je sais, dit-il avec un air de gravité, on arrive toujours trop tard, semblant ainsi regretter ce qui, en réalité, lui était une garantie de liberté. Mais, ajouta-t-il, si l'envie m'en prend, vous ne pourrez m'empêcher de vous aimer, Marguerite.

Après un silence, le visage sérieux :

— N'exagérons rien, mon ami, dit-elle. Songez seulement à ces quelques heures de tendresse que je vous ai données; et croyez-vous que ce ne soit rien, cette belle sympathie de ma chair pour vous ? Vous voulez mon âme aussi : elle ne mérite pas de vous attacher. Vous me faites un peu peur. Croire qu'il me serait possible d'être toute à vous me ferait paraître trop médiocre l'avenir qui m'est réservé. Ne me gâtez donc ni mon présent, qui est à vous, ni l'avenir. Allons, adieu,
mon ami, prends ma bouche : elle l'aime bien.

Raymond mit ses deux mains à la taille de Marguerite et appuya longuement sa bouche sur sa bouche. Mais il faisait ce geste sans se perdre de vue, et surtout pour que son amie s'anime et s'émeuve : « Que mon baiser, à cette minute de l'adieu, éveille en elle un désir, elle évoquera ma présence et ce sera le commencement de l'amour", pensait-il.

— Comme il est tard, Raymond! Laisse-moi partir. Georges, mon fiancé, sera là ce soir. J'aurai peut-être pour lui un peu de bienveillance, puisque je suis heureuse; je penserai au secret que je lui cache. Entre lui et moi, ily aura toi, toujours. Mais lui ne soupçonnera jamais rien; les hommes sont si sûrs d'eux- mêmes. Cependant, maintenant, j'ai une raison pour le faire attendre, puisque je t'ai.

Après un dernier baiser, qu'elle cueillit elle-même, en fermant les yeux, elle partit sans se retourner, et disparut.

Raymond alluma une cigarette. Il avait encore aux lèvres et aux mains le parfum de l'amour..."

R. de Gourmont

miércoles, 14 de octubre de 2009

Triomphe des médiocres



"Les Médiocres.

Chacun. Lui.
Issu du suffrage universel, le médiocre triomphe, barbare suprême, contre la lumière de l'Idée.
Parmi la masse humaine, un élément, d'époques en époques, se garde rebelle à tout progrés, à tout savoir, à tout esprit. C'est le paysan. On noterait des différences minimes entre un laboureur breton et le rustre de Phrygie occupé, il y a trois mille ans, à écorcher la terre par le moyen d'un bâton ferré. Ni la paix, ni la guerre, ni le joug des races ne l'instruisirent. De religion, il ne comprend que le trafic du châtiment et du péché. De politique, il n'admet que la vente de son suflrage au pourvoyeur de ses intérêts immédiats. De la famille, il tire des domestiques auxquels il ne doit nul gage, car la loi l'autorise à exploiter impunément la faiblesse. De la civilisation, il choisit l'alcool. Il respecte le fort et écrase le chétif. Il craint le riche, il hait le pauvre. Chaque minute de sa vie est un crime naïf contre les choses, la beauté. Aucune ré-
volte ne l'exalte. Patriote par servilisme, il marche en troupeau sous l'injure du sergent; incapa-
ble de concevoir la raison des guerres ni les causes de la paix.

En Europe, ces sortes de brutes constituent le corps électoral. Elles disent qui doit conduire le
destin de la race, celui dont la bassesse les flatte, dont la sottise les relève, ou dont la richesse les
étonne. Le médiocre qui s'abaisse jusque leur stupidité devient le maître.
Fort de leur nombre, il commande, il impose.
La foule applaudit. "

Paul Adam